EN IMAGES - Trompe-l'œil et chasse au trésor: la voiture de 31m² créée de toutes pièces avec le concours d’une centaine d’artisans européens invite le train de luxe le plus célèbre du monde à ne surtout pas se prendre au sérieux.
Agatha Christie, René Prou, René Lalique, et maintenant JR. L’artiste français inaugurait ce mercredi à Paris le wagon-lit qu’il a imaginé pour letrain Venice Simplon-Orient-Express. Une suite de 31m² dans l’une des voitures historiques dont il a imaginé le moindre détail, du toit ouvrant sur le ciel à la moindre lame de parquet. Accoler son patronyme à la longue liste de ceux qui ont bâti lemythe Orient-Expressn’était pas une évidence pour celui qui voulait amener l’art à la rue. Après les favelas du Brésil et les murs de sa banlieue, qu’allait donc faire le natif de Montfermeil dans le train le plus cher du monde (dans les 80.000 euros pour un séjour en suite)? À mieux y regarder, la figure du train revient comme une idée fixe dans son parcours. Citons seulement sa série «Women are Heroes», et ses regards de Kényanes accolés à des tortillards. «C’est aussi là que j’ai commencé», confie-t-il au Figaro, assis devant les marqueteries de sa suite, baptisée «L’Observatoire». «Et plus exactement dans le RER de banlieue pour venir à Paris. Grâce aux graffitis, je montais sur le toit, j’allais dans les tunnels et je découvrais une ville dans la ville. Mes premières créations, c’était en découpant les plans de métro.».
Du RER au train de luxe, il n’y a qu’un pas. JR l’a franchi sans hésiter quand lamarque hôtelière Belmond(groupe LVMH), propriétaire du Venice Simplon, l’a contacté. «Je n’aurais jamais imaginé avoir la chance de penser une voiture de A à Z. Je me pince encore quand je rentre dedans. Dire qu’elle va être attachée pour l’éternité à ce train, qui roule depuis fin 1800!» Avec le concours d’une centaine d’artisans européens glanés au cours de ses voyages, cela fait quatre ans que JR imagine cette «maison sur rails». «Mais une maison dans laquelle n’importe qui pourrait se projeter», assure-t-il. Il n’est effectivement guère ardu de s’y voir: piochant un livre dans la phénoménale bibliothèque avant de s’étendre dans le «daybed» (pardonnez-nous l’anglicisme, mais le lexique de l’artiste fait foi) pour voir la campagne défiler.
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Jeux de regards
Mais n’allons pas trop vite en besogne. Situé tout à l’avant du train, L’Observatoire s’ouvre sur une salle à manger tout en bois chaud, hommage à l’Orient Express des origines. Les pièces de marqueterie, au mur et sur les volets, ont été réalisées par le maître Philippe Allemand - il est auvergnat - qui a déjà officié dans trois suites du train. Un corridor emmène à l’espace nuit: une petite salle de douche en marbre, plutôt sobre n’était la main de JR en mosaïque au sol, puis la chambre concave, dont les murs semblent de l’étoffe des sirènes (en réalité, du cuir festonné).
Posée devant un vitrail Art nouveau signé Michael Mayer, la baignoire en bronze est toute nue. Ni mur, ni paravent. L’Observatoire porte bien son nom: on y observe autant qu’on est observé. JR y a d’ailleurs disséminé son motif-totem: l’œil. Œil oblong à la pupille rouge gravé dans un vitrail. Œil interrogatif découpé dans une marqueterie. Œil fuyant sur la couverture d’un vinyle. Œilleton astronomique au-dessus du lit, que l’on imagine sans peine s’ouvrir sur un ciel étoilé au-dessus de la Lagune...
Ce train ne devrait plus exister dans ce monde où tout va vite
JR
Et par-dessus tout, le regard amusé de l’artiste. Il nous lorgne et nous invite à chercher encore, au risque de rater le clou du spectacle. Derrière la bibliothèque (dont JR assure avoir choisi chacun des ouvrages), un «salon de thé caché», construit tout en rondeur autour d’une cheminée. La somptueuse maquette de l’Orient-Express aurait pu n’être qu’une délicate mise en abyme. C’est mal connaître notre homme. «Si on regarde attentivement les fenêtres de la miniature, on voit des gens vivre, bouger, à l’intérieur du train. À un moment, une personne tend un papier derrière la fenêtre: c’est le titre d’un livre. Si on va le chercher dans la bibliothèque, on découvre un petit mot à l’intérieur, qui mène à son tour à un objet caché dans la pièce...».
Tiroirs sans fond, pièce dans la pièce, œuvres qui se dérobent au regard... Le jeu est ici comme un appel à sortir de la torpeur dans lequel un tel décorum pourrait plonger. Cette malice, ce goût de la bricole, cecôté MacGyver que certains experts lui ont trouvéest peut-être le fil rouge dans la carrière de JR. Celui qui lie les favelas, les musées les plus prestigieux et ce train, emblème du luxe s’il en est. «Un train comme celui-ci ne devrait plus exister dans ce monde où tout va vite. Le Venice Simplon- Orient-Express est une machine à rêve, une légende qui nous appartient à tous. Évidemment, seuls certains y accéderont mais on peut tous en rêver.»
En vidéo, Orient Express: les images du somptueux wagon-lit imaginé par l’artiste JR
Train Venice-Simplon-Orient-Express, A Belmond Train. L’Observatoire de JRest déjà disponible à la réservation pour des départs à partir de mars 2025. La suite peut accueillir deux voyageurs. Le séjour comprend les repas avec un choix de vins du sommelier, un service de majordome 24 heures sur 24, un dîner privé en cabine, les transferts à destination et en provenance du train. Prix sur demande. À titre de comparaison, les six nuits, sept jours, dans les autres suites et grandes suites avoisinent les 80.000 euros.
Le Venice Simplon-Orient-Express circule de mars à décembre et relie Paris à Vienne, Rome, Venise mais aussi Istanbul deux fois dans l’année. Outre L’Observatoire, le train est composé de seize wagons des années 1920 et 1930 restaurés, parmi lesquelles des cabines historiques, des suites et des grandes suites. Les repas dans le wagon-restaurant sont signés Jean Imbert.
